« Les générations futures accusent le numérique de détruire l’emploi et de développer une fracture sociétale.« tel était en substance l’acte d’accusation du Tribunal des Générations Futures qui s’est déroulé le 17 mars 2017 à l’IRAM de Saint-Étienne. Le procès s’est tenu lors d’une matinée intitulée Le tout numérique dans l’emploi… pour tous?
Elle s’adressait en priorité aux accompagnants à l’Emploi mais elle était ouverte à tout public. Elle a réuni 35 personnes, dont une quinzaine de professionnels de l’accompagnement à l’emploi de l’agglomération stéphanoise
Tribunal pour les générations futures
(de 9h –10h30) Conférence-spectacle sous forme de procès pour tenter de comprendre les grandes révolutions en cours et le monde qu’elles préparent aux générations futures (d’après un format d’USBEK et RICA)
Tribunal pour les générations futures à @iramedias dans le cadre de la #biennaledesign17 @zoomacom @saint_etienne_ @pole_emploi pic.twitter.com/fbU4QL1mGv
— IRAM (@iramedias) March 17, 2017
Acte d'accusation
(La Présidente du Tribunal, incarnée par Catherine Bocquet, Présidente du cluster Numélink)
Les générations futures contre le numérique dans l’emploi.
Le monde du travail est en mutation, sous l’effet de la numérisation de l’économie et du changement technologique global. Ces processus, associés à la mondialisation, le vieillissement de la population et les changements dans l’organisation du travail vont façonner le monde du travail et poseront des défis inédits aux politiques publiques.
Avec la numérisation et le développement de l’économie numérique, les possibilités nouvelles et abordables qu’offrent l’automatisation et les mégadonnées (big-data), beaucoup d’emplois nouveaux seront créés, mais de nombreux emplois existants seront aussi détruits ou devront être largement repensés. De nouvelles façons de travailler vont se généraliser, ce qui pourrait accroître la flexibilité pour les employeurs et les individus, mais avec le risque d’une plus grande insécurité de l’emploi. L’évolution des besoins en matière de compétences et d’organisation du travail va créer des tensions sur la qualité des emplois, l’équilibre entre vie privée et travail, les inégalités et la cohésion sociale.
Les générations futures accusent le numérique de détruire l’emploi et de développer une fracture sociétale.
Réquisitoire du Procureur
(incarné par Michaël Poncet, médiateur numérique chez Zoomacom)
Depuis la première activité de l’homme sur Terre, celui-ci a sans cesse chercher à faire évoluer son activité pour des raisons bien diverses (gain de productivité, de rendement, d’autonomie, de confort…). L’arrivée d’Internet et des usages numériques associés a favorisé ces évolutions et la rapidité de duplication de ces évolutions, et ceci jusqu’à en faire évoluer les procédures de recrutement et les modalités de recherche d’emploi.
Pour tous les acteurs, le numérique a donc une place importante dans le cadre d’une recherche d’emploi. Pour autant, est-il réellement possible de généraliser ces démarches à l’ensemble de la population ? Ou bien existe-t-il des freins à cette généralisation des usages numériques pour chercher et obtenir un emploi ?
On ne peut pas renier l’idée, que le numérique et les outils développés ont apporté une réelle plus-value aux personnes en recherche de travail ou d’activité. On peut évoquer les candidatures et les CV en ligne ou bien encore la valorisation de ses compétences et des projets réalisés par les réseaux sociaux professionnels. Que le numérique soit un outil favorisant l’amélioration de la qualité du travail personne n’en doute ! Pour autant, doit-il être la seule voie possible pour toutes les personnes en recherche d’activité ?
De nombreuses études nous démontrent que l’automatisation des tâches facilite le travail et rend les tâches qui en découlent plus confortables. Dans le rapport «Automatisation numérisation et emploi » du Conseil d’Orientation pour l’Emploi, on observe que le numérique ne tue pas le travail mais le modifie. En effet, 50 % des emplois vont évoluer et seulement 10 % seraient susceptibles d’être menacés de disparition par la numérisation et l’automatisation des tâches. 1,5 millions emplois quand même!
Mais ce rapport est encore plus alarmant si l’on regarde les catégories de métiers qui évolueront et disparaîtront. En effet, parmi les 10 % d’emplois susceptibles d’être menacés, se sont les métiers surreprésentés (en terme de volume d’emplois) et qui sont également des postes avec peu ou pas de qualification.
Ce sont les métiers manuels et peu qualifiés qui sont les plus exposés par le numérique dans l’emploi. Les 50 % de métiers qui évolueront relèvent souvent des métiers de service, contrairement aux métiers les plus exposés à disparaître (caissier, conducteur, aide à domicile, aide ménagère, agents de l’hôtellerie, de la restauration et des transports…).
En renforçant la numérisation et l’automatisation des emplois, on améliore les conditions de travail, mais pour cela on augmente le niveau de compétences exigées pour occuper un emploi et cela nous amènera à la disparition des emplois peu ou pas qualifiés. Si nous prenons ce virage, nous allons renforcer les difficultés d’accès à l’emploi en paupérisant les personnes les plus vulnérables, nous renforcerons la fracture numérique ! Peut être que nous devrions créer le code ROME 404 : aucune compétence (allusion à l’erreur 404 sur le web) disponible à l’emploi !
Le secteur de l’emploi ne favorise pas l’accès à l’emploi pour tous grâce au numérique ! On peut se laisser aller à croire que c’est l’avenir et que les générations futures seront mieux armées que nous face au numérique. Qu’en est-il de cette génération Z ou digital natives (nés entre 1995-2015) ? Sont-ils mieux armés pour travailler sur des tâches automatisées ou numérisées ?
Un des postulat sur cette génération Z permet de mieux cerner leurs usages sur le web : ce sont des consommateurs d’Internet et non des acteurs qui créent ! Ils ont certes développés des compétences, mais sont-ils pour autant des experts du web ? Leurs rapports au web les a fait évoluer, ils sont :
- multi-tâches : ils écoutent de la musique tout en téléphonant et en écrivant sur une messagerie instantanée
- un rapport au temps différent : tout va vite avec le web et tout est disponible
- un rapport à la lecture différent : avec une lecture plutôt sur l’écran, et une pratique de lecture « bondissante » (de page en page)
Certes, cette génération a des facilités numériques… qui sont issues du capital culturel et social… et ne sont donc pas généralisables à l’ensemble de cette génération. Par exemple, l’étude de Pierre Mercklé et Sylvie Octobre a permis de montrer que les enfants des milieux populaires ont des pratiques du numérique moins variées que ceux des milieux aisés. Pour eux, la capacité à utiliser de manière éclectique les outils numériques devient une nouvelle forme de distinction qui contribue à créer une nouvelle fracture numérique.
Même sur une génération qui a grandit avec le web, on observe une fracture numérique.
Ont-ils pour autant développés des compétences qui augmenteraient leur employabilité et leur insertion professionnelle ?
D’après l’étude d’Emmaüs Connect de mai 2015, sur les pratiques numériques des jeunes en insertion professionnelle, on observe des limites en terme d’usages et des disparités selon les catégories des jeunes.
Parmi les plus marquantes, on observe un taux d’équipement pour se connecter important (95 % des jeunes) mais très peu disposent d’une connexion pérenne, ce qui limite l’accès au web et le développement de nouvelles compétences. Et que dire du taux d’équipement des jeunes inscrits à la Mission Locale qui chute à un petit 60 %, soit près d’un jeune sur deux !
Que ce soit donc en terme d’équipement ou bien en terme d’usages la génération des digital native n’est pas forcément mieux armée pour favoriser une insertion professionnelle via le numérique. En allant vers une direction favorisant le tout numérique, nous laisserons encore une partie de la population sur le bord de la route !
Sans parler du fait que les jeunes ont des également des difficultés à gérer leur identité numérique, sans évoquer les aspects négatifs qui sont parmi les sujets favoris des médias (soirée alcoolisée, photo dénudées…), combien avez-vous de jeunes pâtissiers ou paysagistes arrivés par eux-mêmes à se mettre en avant, à se valoriser par les réseaux sociaux en publiant leurs activités ? Combien avez-vous rencontrés de jeune avec une adresse mail hilarante ou stupéfiante ?
Autant je peux penser qu’il y a des moyens de se valoriser par le web, d’une manière bien plus concrète et bien plus démonstrative de ses savoir faire que sur un CV. Autant ils ont des difficultés à savoir comment faire. Leur problème n’est pas d’utiliser Instagram ou Pinterest, mais d’avoir un bagage culturel et social permettant de savoir comment se valoriser en fonction des sites web et des usages numériques utilisés.
Enfin, des éléments qui ressortent parmi ceux observés par cette étude: ils sont dépourvus des outils numériques essentiels, ne disposent pas d’e-mail pour les primo-arrivant en Mission Locale, méconnaissent les réseaux sociaux professionnels, Internet est mobilisé dans leur recherche mais pas de manière optimisée… et ils expriment la demande d’un accompagnement humain et sont également en attente d’une aide sur le numérique. Sur le volet de l’emploi, même les étudiants diplômés d’un bac +3 ou + sont plus de 30 % à estimer avoir besoin d’aide (et 50 % chez les jeunes possédant uniquement le brevet des collèges).
Ce besoin d’accompagnement et d’aide dans la démarche d’insertion professionnelle nécessite donc bien plus que des outils ! Sommes nous en mesure de pouvoir assurer cet accompagnement ?
Quand certains Espaces Publics Numériques (EPN) disparaissent ou ferment, ou pire : lorsqu’ils n’intègrent pas la question de la médiation numérique dans leur projet de fonctionnement ? Quand l’accès à Pôle Emploi ne se fait plus que sur RDV les après-midi ? Que les demandeurs d’emploi sont réorientés vers les EPN qui ne disposent pas forcément de personnel qualifié en terme d’orientation ou d’insertion professionnelle ?
Jusqu’à présent, mes propos se sont appuyés plutôt sur les plus jeunes, car c’est l’intégralité de leur carrière qui peut en être impactée. Même pour cette génération Z, le numérique ne permet pas à chacun de pouvoir être autonome dans sa recherche d’emploi sans un minimum d’apprentissage et de connaissances en culture du web.
On peut donc bien évidemment se douter que les mêmes problèmes existent pour les publics de tranche d’âge supérieure. Parmi les personnes les plus âgées en recherche d’emploi, on peut aussi observer que certaines ont également besoin d’appréhender l’outil qu’elles utilisent, avant même de pouvoir parler d’un accompagnement aux usages. Il y a un besoin de connaître et comprendre l’outil, d’être rassuré sur son fonctionnement pour éviter le syndrome du « J’vais tout casser ! ». Cela se travaille dans le temps, et demande le temps de la prise de confiance, avec l’outil comme avec les usages (contrairement aux plus jeunes qui sont nés avec les écrans et on appris selon le principe de l’essai-erreur).
Bien sur les avantages du numérique dans une démarche de recherche d’emploi peuvent être conséquents. On doit les favoriser, les développer, les semer et les entretenir. Mais cela nécessite une politique d’accompagnement plus forte et engageante qu’on peut le supposer.
Favoriser et valoriser une démarche de recherche d’emploi autonome via les usages numériques peut, peut être, convenir à 75 % ? à 80 % ? d’une génération. Mais elle ne permet pas d’intégrer tout le monde ! À partir de la je ne ferai pas le sacrifice de laisser quelqu’un de coté quand il est sur le chemin du travail. Si je ne fais pas ce choix, je permets à la fracture numérique de s’étendre un peu plus !
Plaidoirie de l’avocat de la défense
(incarné par Jean POULY, Directeur du développement et Professeur associé chez International Rhône-Alpes Media, fondateur du cabinet de conseil ECONUM, spécialisé sur la transformation numérique du travail, de l’enseignement et des médias)
1) Ce n’est pas la fin du travail comme le montre le récent rapport du Comité d’Orientation de l’Emploi. Ne pas confondre tâches et métiers. Seuls 10% des métiers risquent de disparaître mais d’autres seront crées. Tout le reste va se digitaliser de plus en plus mais ne pas disparaître. En revanche la plupart des tâches se digitalisent donc la plupart des métiers vont se transformer.
Ceux qui risquent de disparaitre sont les moins qualifiés et les gens moins qualifiés ne sont pas armés pour la transformation. Il faut donc faire un effort pour inclure les moins qualifiés dans cette transformation digitale
2) Le digital va permettre de fluidifier le marché du travail grâce au pair à pair et donc de faire baisser le nombre de chômeur (CF : projet de Paul Duan). De plus, le numérique va permettre de se former tout au long de la vie plus facilement et donc d’améliorer l’employabilité des actifs salariés ou non. Aujourd’hui, c’est le déficit de formations adaptées qui crée le plus de chômage.
3) La numérisation du travail, les progrès de l’IA et de la robotique vont permettre aux humains de se délester de tâches sans intérêt (administration, gestion, process…) et d’investir d’autres activités à plus forte dimension humaine : services à la personne, activités de création, artistique, etc. Dans les pays fortement robotisés comme le Japon, la Corée ou l’Allemagne, on observe des taux de chômage assez faible mais un très bon système de formation initiale et continue.
4) Enfin, le numérique est pour tous : les outils numériques sont devenus quasi universels et largement accessibles à tous. Exemple de la Khan Academy, des conférences TED et autres contenus en Creative Common et des ressources éducatives libres. La dimension auto-didactique de outils numériques permet aussi aux plus défavorisées de se former par eux-même avec un peu de temps.
Les questions de la salle
Une réaction sur Twitter:
Pole emploi participe a l economie souterraine en favorisant le hameçonnage https://t.co/3eBEkx8taS
— solidairnet (@solidairnet) March 17, 2017
Ateliers
(10h45 –12h)
#Emploi et #Numerique le sujet du jour pour les ateliers @zoomacom @iramedias #BiennaleDesign17 #TiersLieux #ForkTheWorld pic.twitter.com/EH9kFlGoZQ
— OpenFactory Sainté (@OpenFactory42) March 17, 2017
Le JobCamp, un format d’animation consacré au sujet du numérique en période de recherche d’emploi
Notre format de médiation numérique pour les personnes en recherche d'emploi: le #JOBCAMP. La doc. ici: https://t.co/Fx5SW8K3Ys #MedNum pic.twitter.com/bpeiOiswl8
— zoomacom (@zoomacom) March 17, 2017
Voir aussi:
- nos articles JobCamp (Zoomacom)
La Design Tech Académie, déclinaison stéphanoise de la Grande École du Numérique
Voir aussi:
- Design Tech Académie – Grande École du Numérique
- Télécharger la plaquette Design Tech Académie (format pdf, 627ko)
- Début des sélections pour la première promo de la Design Tech Académie
- Zoomacom, partenaire de la Grande École du Numérique à Saint-Étienne
- Facebook : DesignTechAcademie
- Twitter : @designtech_acad
Le CV vidéo de FACE Loire
Comprendre la méthode des CV vidéos de @FACE_Loire par la pratique, ce matin à l'@iramedias. Voir aussi: https://t.co/xYJvci65Vf pic.twitter.com/JbDd2Ffy2l
— zoomacom (@zoomacom) March 17, 2017
Voir aussi:
L’Emploi Store de Pôle Emploi
Exploration de l'Emploi Store avec @poleemploi_ara – https://t.co/EQW3vgTAPd pic.twitter.com/WhynnAhAEJ
— zoomacom (@zoomacom) March 17, 2017
Voir aussi:
Cette matinale était organisée par trois structures stéphanoises intervenant dans le champ de l’accompagnement à l’emploi, dans le cadre d’un groupe de travail initié par Saint-Étienne Métropole : FACE Loire, Zoomacom et Pôle Emploi.
Les Semaines de l’Égalité sont trois semaines d’actions sur le thème «Tous différents, tous égaux» et traitant de l’égalité Femmes/Hommes, de la prévention des discriminations, du vivre ensemble, et de la citoyenneté.